Séparés mais vivre – encore – ensemble ? C’est le principe du “Living together apart” ou LTA qui désigne ces couples séparés qui n’ont pas les moyens de se quitter. Mise en scène avec humour au cinéma (Sous le même toit de Dominique Farrugia, L’amour flou de Romane Bohringer), cette cohabitation forcée se révèle, dans la réalité, pesante à vivre.
Couples séparés mais ensemble, un phénomène connu depuis longtemps
Il n’existe pas de chiffres concernant ces couples séparés forcés de rester co-locataires. La situation est cependant suffisamment répandue pour que des scientifiques s’y intéressent. Le phénomène serait apparu aux Etats-Unis, à la suite de la crise des subprime en 2008. Mais des sociologues anglais ont ainsi remarqué qu’il s’est accru ces dernières années.
Habiter avec son ex n’a pourtant rien de nouveau : autrefois, on restait ensemble par nécessité de respecter les apparences et les conventions sociales, sans oublier que le foyer vivait la plupart du temps avec un seul revenu.
Aujourd’hui, la séparation est devenue monnaie courante : en France, entre 2009 et 2012, en moyenne, 253 000 couples se sont séparés chaque année. Entre 1993 et 1996, on en comptait 155 000. La proportion d’ex-couples contraints de vivre ensemble est vraisemblablement plus faible qu’autrefois, mais n’a pas disparue.
Une cohabitation forcée pour raisons financières…
Selon une récente étude du sociologue Milan Bouchet-Valat, le niveau de vie d’un couple – qu’il soit marié, pacsé ou en concubinage – est 1,5 fois plus élevé que celui de deux célibataires : « Partager le même logement, le même mobilier, la même télévision et ne payer qu’une seule fois les impôts locaux… Autant de gagné par rapport à une vie en solo ».
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nombre de couples séparés hésitent à passer concrètement à l’action. En effet, les familles monoparentales représentent 34,8% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté en 2016.
Une situation particulièrement violente pour les femmes : une étude menée par l’INSEE et l’INED d’après les chiffres de l’administration fiscale montre que le niveau de vie des femmes ayant divorcé en 2009 a baissé en moyenne de 20 % un an après la séparation, contre 3 % pour les hommes (et 35 % d’entre eux se sont mêmes enrichis !)
Les femmes plus durement touchées
Être mère, d’une façon générale, fragilise la vie professionnelle. En France, les femmes en couple gagnent aujourd’hui 42 % de moins en moyenne que leur conjoint selon l’INSEE.
La raison ? Ce sont elles qui acceptent les plus importants sacrifices professionnels pour s’occuper des enfants : temps partiel, refus des heures supplémentaires, interruptions d’activité, etc. Des sacrifices qui perdurent bien sûr après la séparation lorsque les mères ont la garde des enfants. La précarité est donc le lot des mères séparées qui représentent 85% des familles monoparentales. Et elle s’accentue au moment de solder les comptes de l’ensemble de la carrière et de calculer les droits à la retraite.
En termes de compensation, la garde alternée qui fait reposer la charge économique des enfants de façon plus équitable sur les deux parents n’est prononcée que dans 16% des cas.
Le poids de la peur
Peur de l’appauvrissement, risque économiques liés à une séparation, crainte des conséquences psychologique pour les enfants… La peur plane quand il est question de séparation.
Aussi des couples séparés choisissent de continuer à vivre “malheureux ensemble” comme l’explique Jacques : « Nous faisons chambre à part depuis pratiquement dix ans. Et pourtant nous quitter est difficile pour mille raisons. Les enfants, tout d’abord. Nous aurions dû le faire il y a plus de dix ans, avant la naissance du dernier. Aujourd’hui, on a un peu l’impression qu’il faut attendre que les enfants soient grands, indépendants. On craint que cela soit encore pire séparés… Il y a aussi la peur de l’appauvrissement. Le divorce est un grand saut dans la précarité… Nous avons eu peur du futur, de perdre notre niveau de vie, peut-être même de devenir pauvre. Mais parfois, je pense que l’essentiel n’est pas là. Nous restons ensemble, car nous avons par habitude construit cette dépendance.
De son côté, Pascale, une enseignante de 38 ans, mère d’une fille de 10 ans, craint les conséquences. « Si je pense régulièrement au divorce, je l’associe aussi immédiatement à tout ce que j’entends, que je lis sur les enfants du divorce. Comment pourrais-je être assez égoïste pour faire l’impasse sur ces discours qui nous dépeignent le désastre qu’il provoque sur les enfants qui souffrent, échouent à l’école, se mettent à se droguer ou, pire, qui se suicident ? Non, vraiment, prendre une telle décision est restée au-dessus de mes forces, malgré la tristesse de notre vie de famille ».
Une cohabitation d’un nouveau genre
D’autres en revanche s’accommodent bien de cette cohabitation avec leur ex-conjoint. Comme Ghalya, intermittente du spectacle de 41 ans : “Notre vie est simple, apaisée. J’ai même gagné en temps pour moi, je sors davantage qu’avant. En couple, on se freinait car ça coûtait cher en baby-sitter ; maintenant, on fait des tours de garde. On a maintenu un peu de vie à quatre : grillades, soirées gaufres le week-end…”.
Sylviane, 53 ans, profession libérale, reconnaît qu’après avoir “donné dans la mesquinerie la plus navrante”, sa cohabitation forcée avec son ex-mari a complètement changée lorsqu’elle est tombée malade. « Opération, chimio… Eh bien, c’est cet homme que je ne pouvais plus voir en peinture qui m’a tenu le front quand je vomissais, c’est lui qui, quand la peur m’étranglait, m’a dit : «Tu ne vas pas mourir, tu verras nos filles grandir », c’est lui qui a massé mon corps gonflé d’œdèmes… Qu’il soit « à domicile » m’a aidée à faire face, il a été ma béquille. Il est devenu mon meilleur ami, « mon divorcé ». On a continué à faire toit commun, car nos affaires restent dans un équilibre précaire et, surtout, on s’entraide en cas de pépin.”
La colocation choisie, une alternative à la cohabitation forcée
Alors autant choisir la co-location. Lorsque ce n’est pas la colocation qui vous choisit. Matthieu et ses colocataires ont accueilli “une jeune mère célibataire avec sa fille de 2 ans. On l’a fait pour sa fille, pour qu’elle ait la chance de grandir dans ce lieu. Ça implique de ranger plus et ça questionne certaines de nos habitudes ! Mais on avait envie d’ouverture, de ne pas rester entre nous”
Non seulement, vivre en colocation permet aux familles monoparentales de partager le loyer et les factures de chauffage, d’électricité, d’internet, les charges… Mais aussi de ne pas rester seul à tourner en rond, à broyer du noir après une journée difficile ou une audience chez le juge. Sans oublier qu’une colocation offre plus d’espace. Parents comme enfants peuvent y trouver leur place. Et en cas de co-location entre familles monoparentales, les parents peuvent s’organiser ou du moins se partager les frais de baby-sitting.
Bien sûr, cela ne s’improvise pas. La co-location, ce sont d’abord des règles établies tous ensemble que chacun s’engage à respecter. Et surtout si vous emménagez avec une autre famille monoparentale : avoir le même style d’éducation et de règles à imposer aux enfants permet de gérer beaucoup plus facilement le quotidien. Cela évite les disputes entre enfants qui dégénèrent ensuite en disputes entre parents.
Bref ce qui fait la différence entre une colocation sereine et agréable, c’est de permettre aux familles monoparentales de se choisir pour vivre ensemble.
C’était d’ailleurs l’une des propositions de Cooloc lors du récent Grand Débat. Comme l’a fait la loi Elan pour la colocation intergénérationnelle, il faudrait aller plus loin dans l’encadrement de la co-location entre familles monoparentales ! Le moyen de mettre en lumière une colocation choisie et non plus subie.